Construire ensemble…

Le grand Rabbin de Bruxelles, Albert Guigui a sorti cette phrase étonnante et pleine de Sagesse lors du Grand Oral du samedi le 9 avril 2016, une émission diffusée à 13h15. Ça vaut la peine de le citer presque entièrement parce que ses propos tirés de leur contexte peuvent être mal interprétés.

Il dit : « Je pense que c’est une erreur de prôner le ’vivre ensemble’ parce que je peux vivre avec mon voisin de palier pendant 40 ans sans rien savoir de lui (…) on se voit tous les matins, on se voit tous les soirs, sa porte est en face de la mienne et pourtant je ne le connais pas …Moi, je prône ‘le construire ensemble’, c’est-à-dire avoir des projets communs parce que à partir du moment où nous travaillons ensemble sur des projets, à partir du moment où nous relevons les défis ensemble alors l’autre n’est plus autre, il se révèle à moi tel qu’il est. C’est ce qu’Emmanuel Levinas appelle l’Epiphanie de l’autre. La révélation de l’autre, il n’est plus autre, il n’est plus étranger, il est mon partenaire, nous sommes associés dans la même activité, nous relevons ensemble le même défi (…) Le gouvernement (…) doit être imaginatif et avoir des projets ensemble, des projets communs (…) où les uns et les autres : juifs, musulmans et chrétiens doivent être ensemble. Quel est le drame de nos sociétés ? Pourquoi il y a tant de violence ? C’est parce que de l’autre nous ne connaissons que les préjugés. On ne connaît pas l’autre ! »

Des paroles qui interpellent

Ces paroles qui rappellent celles du Pape François : « la sauvegarde de la maison commune » (le sous-titre de son encyclique sur l’écologie) sont un défi. Le Rabbin n’oppose pas le « vivre ensemble » au «construire ensemble ». Au contraire, il invite le gouvernement à ne plus se contenter du « vivre ensemble » communément prôné mais à faire un pas de plus et à apprendre à construire ensemble. Cela m’a interpellé non pas seulement dans le cadre du dialogue interreligieux, mais aussi dans le concret de la vie de tous les jours. Le Rabbin parle de l’interreligieux et s’adresse au gouvernement. Mais, est-ce le gouvernement qui viendra dans nos maisons, nos buildings, nos quartiers, nos communautés (paroissiales ou autres), à notre lieu de travail, nos écoles, nos villes…pour nous proposer des projets communs ? Sommes-nous assez imaginatifs pour permettre aux autres qui nous sont proches de se révéler ou restons-nous dans les préjugés ? Par exemple, dans une paroisse ; les chrétiens qui se rencontrent tous les dimanches à la messe, qui se voient, s’assoient sur un même banc, se donnent la paix au moment où le rituel le demande ; sont-ils seulement dans « le vivre ensemble » c’est-à-dire être côte à côte sans se connaître (ou en ne se connaissant qu’à travers les préjugés) ou vivent-ils un projet commun qui permet une « Epiphanie » de l’autre? Même chose dans le quartier, dans les écoles, à nos lieux de travail.

Un engagement pour un projet commun

Le « construire ensemble » ne sera jamais possible si on est enfermé chez soi ou sur soi. Il ne sera pas possible si les personnes restent dans les a priori et les préjugés. Le « construire ensemble » exige un effort de sortir de soi et de chez soi pour aller vers les autres. Ce qui implique la volonté et aussi un engagement. Volonté de quitter le petit confort dans lequel on peut s’enfermer par facilité et engament à tenir dans cet exercice qui n’est pas toujours facile parce qu’il demande une confrontation directe, une remise en question et l’acceptation de l’autre tel qu’il est. Comme le Rabbin le dit avec sagesse, cela n’est possible que s’il y a un projet commun. Il parle de construire, un projet de vie, qui élève et fait grandir.

Faire le premier pas…

Le Christianisme est une religion de relation, il s’agit d’un Dieu qui « sort », qui s’incarne dans l’humanité afin de vivre un projet commun ! Fort de la vie de Jésus qui a vécu avec ses disciples et qui s’est donné sur la croix, le chrétien est invité à faire le premier pas ! Ne plus se contenter du « vivre ensemble », mais, aller construire avec les autres. Et cela il ne le fait pas parce qu’il est meilleur ou parce qu’il est plus que les autres, mais, parce que la force et la profondeur de sa conversion permanente le pousse à le faire.

Commencer à petite échelle…

Dans le monde d’aujourd’hui, les liens sont de plus en plus faibles, beaucoup de personnes se croisent, « vivent ensemble » sans se connaître vraiment. Les liens sont tellement faibles et l’individualisme et l’enfermement sur soi guettent tout le monde qu’on peut voir des couples qui vivent ensemble sans se connaître ou sans avoir un véritable projet commun. Ou des parents avec des enfants ! C’est pour cela qu’il faut commencer à petite échelle, chez soi, à la maison…si nous construisons ensemble dans le couple, dans la famille, le mouvement peut se répercuter partout, mais, le contraire est difficile voire impossible.

La sagesse du Grand Rabbin nous lance un défi, à nous de relever.

Eric N.